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Simone, le voyage du siècle

6 novembre 2022

De totalitarisme et de démocratie, il en est aussi beaucoup question dans Simone, le voyage du siècle (1). Simone, c’est Simone Veil, son nom de jeune fille comme on dit, c’était Jacob, née en 1927, morte en 2017. Presque un siècle en effet, et quel siècle ! Jamais un siècle n’aura été aussi riche en évènements géopolitiques et en drames humains que le XXème siècle et Simone Veil l’aura traversé en prenant les coups mais surtout en menant les combats, un par un, obstinément, sans jamais renoncer.

Elle n’a que 16 ans lorsqu’elle est envoyée avec sa mère et Milou, l’une de ses deux soeurs, au camp d’Auschwitz, mais elle dira aux gardes en avoir 18 pour ne pas monter dans le camion et être fusillée avant même d’avoir franchi la grille au dessus de laquelle est écrit au fer forgé : « Arbeit macht frei » Le travail rend libre, la mort aussi semble-t-il ! Elle devra à sa beauté et peut-être aussi au bleu de ses yeux semblable à l’eau des calanques où elle se baignait enfant, les faveurs d’une kapo polonaise qui l’enverra elle, sa mère et sa soeur, toutes les trois sinon rien, dans un camp moins dur. Cela leur permit de survivre pendant ces mois de concentration mais sa mère ne survécut pas à la « marche de la mort » que des milliers de prisonniers durent faire à la fin de la guerre pour fuir avec l’armée allemande en déroute. Pas un jour, dira-t-elle dans sa bio, sans qu’elle ne pense à sa mère. A sa mère, mais aussi à son père et à son petit frère Jean. Longtemps, elle a espéré qu’ils s’étaient cachés dans l’arrière pays niçois où qu’ils avaient réussi à s’évader, longtemps elle fit des recherches jusqu’à ce que Serge Klarsfeld lui apporte la quasi certitude que eux non-plus n’étaient sans doute pas revenus de l’enfer de Dante. Voilà comment Simone entre dans la vie d’adulte à 18 ans à peine. Son père se plaignait du caractère bien trempé de sa fille cadette, Simone dira que c’est probablement ce caractère dur qui lui permit de survivre au camp.

C’est avec la même caboche qu’elle entra à Sciences Po, décidée à devenir avocat ou magistrat, à l’époque on ne féminisait pas encore ces métiers prestigieux, pour lutter contre l’injustice, les injustices, toutes les injustices. Son premier combat fut les prisons, qu’elle visita une par une, jusqu’à Alger, et s’est battue de toutes ses forces pour imposer des règles d’hygiène et le droit à la dignité pour les prisonniers. Elle réussit aussi à faire rapatrier des femmes algériennes torturées dans les prisons d’Alger qui seraient sans doute mortes sous les coups de leurs geôliers ou de maladie si elles étaient restées à croupir dans le trou pourri et puant dans lequel on les maintenait enfermées. Voilà encore de quel bois était faite Simone.

En réalité, la prison n’est pas son premier combat. Son premier combat, elle a dû le mener à la maison, une autre forme de prison, car avec trois enfants en bas âge et un mari, Antoine Veil, qu’elle a rencontré sur les bancs de Sciences Po, et qui démarre une brillante carrière politique en France et bientôt à l’étranger, et doit ainsi emmener tout son petit monde avec lui en Allemagne pendant plusieurs années, difficile d’avoir un métier et un destin à elle. Mais au retour de cette expérience en tant qu’expatriée, elle annonce à Antoine qu’elle reprend ses études de droit et que ce n’est pas négociable. Antoine tente bien de la faire renoncer, pense aux enfants, pense à ma carrière, lui dit-il, mais les femmes venaient d’obtenir le droit de vote quelques années plus tôt, elles allaient donc bientôt enfoncer les portes, d’abord quelques-unes, puis de plus en plus, Antoine qui était un homme intelligent le savait et savait qu’il était inutile de vouloir se battre contre Simone.

Mais l’histoire retiendra sans doute son nom pour une autre raison. Une loi de 1973 porte son nom. Pas n’importe quelle loi quand on est une femme puisque c’est celle qui légalise le droit à l’interruption volontaire de grossesse, ou IVG. Pour aller au bout de ce qui lui semblait être le sens de l’histoire justement, mais surtout une question de dignité, encore une fois, et de santé publique, dont elle était la ministre, elle dut affronter l’Assemblée nationale. Cette assemblée de bons hommes qui pleure aujourd’hui quand le gouvernement utilise le 49-3 n’a pas donné ses lettres de noblesse à la démocratie cette année-là. Simone fut houspillée, insultée, ramenée à l’époque des camps, molestée, ces messieurs les députés comparaient l’avortement avec la Shoa et les femmes qui y recouraient à des prostituées. On en était là en 1973. A cet instant précis de ce billet, un ange passe et je me projette cinquante ans plus tard dans une autre démocratie, les Etats-Unis, et je me dis, avons-nous réellement progressé finalement, ou faut-il tout recommencer de nouveau. Il n’est pas question de revenir sur la loi Veil aujourd’hui en France mais gardons l’oeil grand ouvert, l’histoire nous enseigne que rien n’est jamais acquis et que tout est un éternel recommencement, et un combat permanent. Sauf que si nous devons recommencer, ce sera sans Simone, qui dort au Panthéon depuis 2017. Veil veille sur nous du haut de son olympe mais elle doit sans doute s’inquiéter, elle qui doutait de sa réelle utilité. Elle regrettera longtemps par exemple ne rien avoir pu faire pour le Rwanda lors du génocide de 1994 alors qu’elle était ministre du gouvernement Balladur. Mais son pouvoir avait des limites, surtout à côté des tontons flingueurs qu’étaient Pasqua, Balladur et bien sûr Mitterrand.

Le combat de sa vie finalement, elle le dira dans ses mémoires, c’est l’Europe, dont elle fut la première présidente élue au suffrage universel, de 1979 à 1982. L’Europe, et sa condition sine qua non, la réconciliation franco-allemande, était selon elle la seule manière d’assurer la paix sur ce vieux continent où tant de sang avait coulé, où tant de gens avaient été massacrés, dont les siens, c’est dire la résilience dont elle faisait preuve. Le combat de sa vie, c’est le combat pour la paix, et cela passait par la construction européenne.

Il est plusieurs fois question de Louise Weiss dans ce film très touchant d’Olivier Dahant, une femme assez peu connue du grand public et pourtant une figure majeure pour l’égalité de droit entre hommes et femmes, l’immeuble qui abrite le Parlement européen à Strasbourg porte d’ailleurs son nom. On doit en effet à Louise Weiss, une Alsacienne pur sucre qui refusa une brillante carrière de professeur à Oxford pour devenir journaliste et défendre ses idées, de nombreuses avancées dont le droit de vote pour les femmes, ce qui n’est pas rien tout de même.

Je dis que le film d’Olivier Dahan est très touchant car il m’a moi beaucoup touché et je pense que tous les élèves de France et de Navarre devraient aller voir ce film avec leur classe et en discuter ensuite. Je suis un vrai coeur d’artichaut dans mon genre et au cinéma j’ai tendance à être en empathie avec le personnage principal. Alors forcément, quand on la voit à Auschwitz ou plus âgée lorsqu’elle écrit ses mémoires face à la Méditerranée de son enfance et que les larmes coulent le long de ses joues, les miennes aussi. Je n’y peux rien, je suis comme ça. Et je n’ai pas envie de changer figurez-vous.

Si vous êtes comme moi, ou pas, un conseil, en voiture Simone et allez faire le voyage du siècle.


Sources / Références

(1) Simone, le voyage du siècle, film d’Olivier Dahan, 2022.

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