# SociétiX

D’argent et de sang

22 février 2024

De sang, il en est également question dans la série de Xavier Giannoli (1), adaptée du livre éponyme de Fabrice Arfi publié en 2018 (2), une grande enquête sur l’affaire des « quotas carbone », Netflix y a d’ailleurs consacré une série documentaire intitulée Les rois de l’arnaque (3), sur laquelle je me suis déjà exprimé (Le casse parfait). De sang et d’Israël aussi, puisque les principaux protagonistes sont issus de la communauté juive, ou se revendiquent ainsi, portant des étoiles de David grosses comme des médailles olympiques au cou et multipliant les allers retours entre Paris et Tel Aviv. Je me demande d’ailleurs si ce genre de fiction caricaturale ne vient pas encore renforcer cette image d’Épinal mal odorante, les Juifs et l’argent, les Juifs et le sens des affaires, les Juifs qui volent l’argent de l’Etat français, donc des contribuables, donc des bons français. En fait, je ne me le demande pas, je le sais. Alors que les actes antisémites explosent et que le corps de Robert Badinter n’a pas eu le temps de refroidir, des millions de Français abonnés à Canal, probablement à cause ou grâce aux matchs de football qui y sont diffusés, regardent cette série et se disent Tu vois chérie, tous des escrocs et des profiteurs et derrière ce Tous se cache un antisémitisme séculaire qu’il est difficile de combattre, surtout quand les scénaristes produisent de tels navets.

Car De Sang et d’Argent est clairement un bon gros navet. Mon dieu au secours, elohai ezra en hébreu ! Quand je lis dans le 20 minutes d’aujourd’hui que la somme prétendument détourné avoisine les 1,6 milliards d’euros en France et 6 milliards en Europe, je me dis qu’avec si peu de culture financière, les journalistes et les scénaristes peuvent écrire, dire et jouer n’importe quoi, ça passera toujours car le grand public n’est pas plus éduqué, cela va sans dire. Marco Mouly et sa bande de truands de Belleville à la petite semaine n’ont pas détourné des milliards de TVA, mais des centaines de millions, ce qui est déjà beau, vous en conviendrez, pour des petites frappes habitués aux détournements de quelques dizaines de milliers d’euros tout au plus, et dont le leader sait à peine lire et écrire. Par contre, nul doute qu’il sait compter et tchatcher. C’est en fait le total de la fraude des quotas carbone qui est estimée à plusieurs milliards, estimée car personne n’est capable à Bercy, ou personne n’a le courage, de calculer précisément combien s’est envolé sur ce marché financier, ni combien d’escrocs en ont profité. Ce qui est sûr en revanche, c’est que la plupart ont été plus malins que nos trois gugusses et n’ont pas été crier dans tout Paris et tout Tel Aviv qu’ils étaient en train de baiser l’Etat français.

Cette série est certes esthétique et jubilatoire, il y a en effet quelque chose d’excitant à voir le petit arnaquer le gros avec autant de facilité et de voir des voitures de sport, des jets privés, des hélicos, des hôtels de luxe, des escort girls à poil, des casinos brillants de mille feux, des vues du ciel à couper le souffle, tout ça est bien beau mais les acteurs forcent tellement leur jeu et leur talent, que cela devient ridicule. Ramzi joue le rôle de Marco Mouly l’analphabète, accoutré comme un épouvantail planté en plein milieu de l’avenue Montaigne, un mélange improbable de joggings, chemises à fleur, foulards en soie, bobs vissés sur la tête, sans oublier les bijoux, les montres, les parfums et les grosses bagnoles aux couleurs d’agrumes. Niels Schneider interprète quant à lui le personnage tenu par Arnaud Mimran dans la vraie vie, un gosse de riche pseudo trader, cocaïnomane comme il se doit, un louveteau de Wall Street marié à une ingénue, fille d’un milliardaire, juif forcément. Un jour dindon de la farce, entourloupé par les deux loulous de Belleville, un autre cerveau de l’escroquerie en bande désorganisée, ici c’est pas Marseille bébé, pour finir commanditaire d’un meurtre, voir même meurtrier de son beau-père, l’histoire le laisse supposer sans toutefois l’affirmer. En face de cette équipe de choc, mi-nables mi-ingénieurs financiers, on trouve Vincent Lindon, le douanier Rousseau qui court après les sous, catch me if you can, sérieux comme un pape, quand il ne s’occupe pas de sa fille toxico. On se demande d’ailleurs ce que vient faire cette histoire de fille camée dans ce scénario déjà bien barré.

Le pire, comme le meilleur, vient toujours à la fin, avec le fameux Tikoun Olan, ce concept de la culture judaïque consistant à réparer le monde, à faire le bien plutôt que le mal. Il fallait donc recouvrir cette affaire d’une bonne grosse couche de manichéisme, le bien et le mal, les méchants et les gentils, les méchants escrocs d’un côté et le gentil magistrat de l’autre. Mais dites-moi pendant qu’on y est, et les banques d’affaires qui tous les jours aident leurs clients fortunés, entreprises ou particuliers, à niquer le fisc, dans leurs beaux bureaux, on ne parle pas d’escroquerie mais d’optimisation, pour des montants cent fois, mille fois supérieurs, doit-on les classer parmi les gentils ou les méchants ? Je ne sais plus très bien tout à coup qui a raison et qui a tort et qui nique qui. Robin des bois était un voleur mais était-il un gentil ou un méchant. La loi le condamnera, le peuple en fera un héros. Alors franchement, cette couche de crème pas très fraîche à la fin, ce Tikoun Olam, cette réparation du monde à la con, alors même qu’au moment où j’écris ces ligne l’armée israélienne continue de pilonner et d’affamer Gaza, c’est trop et quand c’est trop, c’est Tropico !

Si comme moi, vous aimez les histoires d’escrocs, je vous recommande plutôt l’Affaire Bettencourt sur Netflix.


Sources

(1) D’argent et de sang, série de Xavier Giannoli, Canal+, 2023

(2) D’argent et de sang, le casse du siècle, Fabrice Arki, Seuil, 2018

(3) Les rois de l’arnaque, série documentaire, Netflix, 2021

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